
A #Story : #Sorrynotsorry 🤷♀


Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. 2017 lâaura bien montrĂ©.
LâannĂ©e des rĂšglements de compte, au point de transformer lâautomne dernier en rupture mondiale de la condition fĂ©minine. Ă grands coups de #balancetonporc et de #metoo, les langues se sont dĂ©liĂ©es et de grandes stars â masculines â se sont ainsi retrouvĂ©es clouĂ©es au pilori. Si le tribunal du net semble prendre dâautres formes moins virulentes depuis â aprĂšs 500â000 posts #balancetonporc tout de mĂȘme â le goĂ»t de revanche demeure. Les annĂ©es se suivent et les sujets de fond restent. Une mise au clair latente qui ne date pourtant pas dâhier, et #SorryNotSorry est lâune dâentre elles.
Lorsque #SorryNotSorry Ă©merge sur Twitter en 2011, il sâimpose naturellement comme une ponctuation fĂ©minine. Mais pas nâimporte laquelle : un hashtag de conclusion, Ă mi-chemin entre le point final et le doigt dâhonneur. PostĂ©e Ă plus de 80% par des femmes selon les datas Twitter et Instagram, cette fausse repentance sert davantage Ă justifier la publication dâun propos ou dâun contenu a priori transgressif pour une femme, et Ă prĂ©venir les rĂ©actions haineuses qui pourraient en dĂ©couler.
#SorryNotSorry, ou quand une femme ne devrait pas dire ça.
Ă lâorigine il y a un insight. Les femmes sâexcusent davantage que les hommes. Plus quâun rĂ©flexe du langage, une rĂ©action dâauto-dĂ©fense. En rĂ©union, excusez-moi dâavoir quelque chose Ă dire ; Ă la maison, excuse-moi dâavoir Ă mâoccuper des petits ; dans les transports, excusez-moi dâĂȘtre enceinteâŠ
Une marque a vu juste en 2014 : les shampoings Pantene encouragent alors les femmes Ă ne plus devoir sâexcuser pour un rien en produisant une petite video, Not Sorry, qui cumule des milliers de vues :
De la conversation ? TrĂšs peu. Car au lieu de capitaliser sur lâĂ©nergie existante du #SorryNotSorry, la marque a prĂ©fĂ©rĂ© la valorisation dâun bĂ©nĂ©fice produit, #ShineStrong : de la brillance des cheveux viendrait la confiance en soi, et de cette confiance en soi viendrait cette facultĂ© Ă ne plus sâexcuser sans arrĂȘt. Il existe un mot pour ce raisonnement : capilotractĂ©. TirĂ© par les cheveux, quoi. Ou comment voir juste mais viser Ă cĂŽtĂ©.
Le vrai mouvement, câest BeyoncĂ© qui le lance deux ans plus tard avec la bonne rengaine. Lâalbum Lemonade inonde alors le monde, et parmi le dĂ©luge de singles associĂ©s arrive le refrain Sorry, I ainât sorry. Une idĂ©e qui donne des idĂ©es. Flots de gifs et de parodies, la formule entre vĂ©ritablement dans la culture populaire.
Lâactrice Lena Dunham de la sĂ©rie Girls sâen empare alors dans une lettre ouverte postĂ©e sur son Linkedin et intitulĂ©e Sorry, not sorry : my apology addiction. Le mĂȘme point de dĂ©part que Pantene sur le sentiment pour une femme dâĂȘtre obligĂ©e de sâexcuser sans cesse, mais un discours auquel sâajoute une autre dimension : lâexcuse nâest pas uniquement une rĂ©action immunitaire face Ă la pression masculine, mais face aux idĂ©es reçues que la sociĂ©tĂ© se fait dâune femme â en particulier des femmes entre elles. Une femme ne devrait pas dire ça. Une femme ne devrait pas faire ça. Il devient fatigant de sâexcuser si on sort des rangs. Contre le gnagnan et le rose bonbon, #SorrynotSorry vient Ă©picer lâimage lisse que les rĂ©seaux attendent de la gent fĂ©minine.
#SorryNotSorry a donc deux Ă©coles.
Celle du women empowerment, et celle du I donât give a f**k. Les deux ne sont-elles pas intrinsĂšquement liĂ©es ? Ce serait hypocrite de revendiquer lâĂ©galitĂ© hommes-femmes tout en laissant la darkside fĂ©minine au placard.
Une Ă©tude de lâUniversitĂ© dâIndiana Ă©value Ă 20% en moyenne la proportion de traces nĂ©gatives dans nos feeds et commentaires sociaux, et rĂ©vĂšle que celle-ci grimperait Ă 40% en ne filtrant que les profils fĂ©minins. Alors autant sâen prĂ©venir et annoncer la couleur direct : dĂ©solĂ©, mais je mâen bats les c***. #SorryNotSorry ou lâarme des femmes contre les haters.
Lorsque Naya Rivera rĂšgle ses comptes avec Ariana Grande et dĂ©voile lâenvers (lâenfer ?) du dĂ©cor de la sĂ©rie Glee qui lâa rĂ©vĂ©lĂ©e, câest sous le chapeau Sorry Not Sorry.
Ăa va faire mal, tant pis pour les pots cassĂ©s.
Pas plus tard que lâĂ©tĂ© dernier, câest Demi Lovato qui agite les charts avec son single Sorry, not Sorry. Ambiance orgiaque façon vieux clip de Dr Dre et toujours ce goĂ»t de revanche dans le flow. Le passage de lâadolescente Ă la femme ne se fait pas sans remous. Je suis une b**ch et jâassume. Faites un tour sur Instagram et vous verrez que lâidĂ©e a fait son chemin.
La sous-culture du #SorryNotSorry nous rappelle que la femme aussi a le droit dâĂ©taler sa darkside en ligne. Un parti pris trop souvent nĂ©gligĂ© par les marques, qui lui prĂ©fĂšrent au contraire le consensuel et le politiquement correct.
Explorer la darkside en chacun de nous se rĂ©vĂšle pourtant une mine dâinsights, et la galvaniser devient lâoccasion dâĂ©merger au milieu de tous ces discours bienveillants et moralisateurs. Mieux vaut rĂ©gner en enfer quâĂȘtre esclave au paradis.
Vous pĂȘchez par avarice ? Harvey Nichols vous y encourage encore plus ! La chaĂźne de magasin britannique a marquĂ© les esprits, Ă contre-courant de celui de NoĂ«l 2013, en se faisant le promoteur de lâĂ©goĂŻsme le plus assumĂ©. Sorry, I spent it on myself. Sorry, vraiment ?
ObsĂ©dĂ© par le pouvoir ? Jaguar sâimpose en 2014 comme la voiture des super-villains, autour du hashtag #goodtobebad. Si lâon conduit un coupĂ© sport Ă 70â000 euros, ce nâest justement pas pour quâil reste au garage. Autant sâafficher avec ce beau joujou, et jouer le jeu Ă fond, tant pis pour ceux qui ont la haine.
Parce que le succĂšs des uns gĂ©nĂšre la jalousie des autres, Adidas a sciemment choisi les footballeurs les plus controversĂ©s â entre autres le tombeur James RodrĂguez et lâĂ©gotique Karim Benzema â pour sa campagne There Will be Haters de 2015. Le pĂȘchĂ© dâenvie poussĂ© ici Ă son paroxysme. Plus les gens se dĂ©chaĂźnent, plus la campagne est rĂ©ussie.
Quid de la gourmandise ?
Ben & Jerry âs vient juste de lancer un cadenas spĂ©cialement adaptĂ© au couvercle de ses pots de glace, sur lequel on peut lire : Iâm terribly sorry, but there is no âuâ in my pint. #SorryNotSorry on vous dit.

Si toutes ces marques vĂ©hiculant force et beautĂ©, #LikeAGirl #FearlessGirl et Cie, se mettaient enfin Ă valoriser les aspects les plus noirs de la fĂ©minitĂ©, une Ă©tape serait vĂ©ritablement franchie. Les chiffres parlent dâeux-mĂȘmes : pour 5 millions de personnes #sorry sur Instagram, il y en a le double pour #SorryNotSorry. Le mea culpa nâest pas en vogue. Faites-leur manger trop gras, trop sucrĂ©, trop salĂ©, mettez de cĂŽtĂ© lâinstinct maternel et misez sur cette face cachĂ©e quâon prĂ©fĂšrerait ne pas connaĂźtre. Kate Moss le nez dans la farine, #SorryNotSorry, vous imaginez ?
En 2018, faites donc place Ă la vraie femme, celle qui nâest ni toute rose, ni toute noire. La femme Ultraviolet, Ă lâimage de la couleur de lâannĂ©e.
Photo : coverlandia.net

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